con el espíritu de Maldicionario




Amoureuse du diable

À Stéphane Mallarmé

Il parle italien avec un accent russe.
Il dit : " Chère, il serait précieux que je fusse
" Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.
" Mais riche à paver d'or monnayé le chemin
" De l'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre
" Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre
" Parler de moi sans vous dire de bonne foi :
" Qu'est-ce que ce monsieur Félice ? Il vend de quoi ? "
Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses.

Hélas ! toute grandeur, toutes délicatesses,
Coeur d'or, comme l'on dit, âme de diamant,
Riche, belle, un mari magnifique et charmant
Qui lui réalisait toute chose rêvée,
Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,
La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,
Elle avait tout cela.
Cet homme vint, vola
Son coeur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose
Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose
Avec ses cheveux d'or épars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu.
Ce fut une banale et terrible aventure
Elle quitta de nuit l'hôtel. Une voiture
Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois
Sans que personne sût où ni comment. Parfois
On les disait partis à toujours. Le scandale
Fut affreux. Cette allure était par trop brutale
Aussi pour que le monde ainsi mis au défi
N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi
De ses langues les plus agiles l'insensée.
Elle, que lui faisait ? Toute à cette pensée,
Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuît,
Ayant réalisé son avoir (sept ou huit
Millions en billets de mille qu'on liasse
Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place.)
Elle avait tassé tout dans un coffret mignon
Et le jour du départ, lorsque son compagnon
Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre
L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre
À son bras qui se lasse, elle répondit : " Ça
C'est notre bourse. "
Ô tout ce qui se dépensa !
Il n'avait rien que sa beauté problématique
(D'autant pire) et que cet esprit dont il se pique
Et dont nous parlerons, comme de sa beauté.
Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent ! Prêté,
Gagné, volé ! Car il volait à sa manière,
Excessive, partant respectable en dernière
Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était
Prodigieux la vie énorme qu'il menait
Quand au bout de six mois ils revinrent.

Le coffre
Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s offre
À sa main. Et pourtant cette fois - une fois
N'est pas coutume - Il a gargarisé sa voix
Et remplacé son geste ordinaire de prendre
Sans demander, par ce que nous venons d'entendre.
Elle s'étonne avec douceur et dit : " Prends tout
" Si tu veux. "
Il prend tout et sort.
Un mauvais goût
Qui n'avait de pareil que sa désinvolture
Semblait pétrir le fond même de sa nature,
Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux,
Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.
Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme,
Ses yeux très grands, tout verts, luisaient comme à Sodome.
Dans sa voix claire et lente, un serpent s'avançait,
Et sa tenue était de celles que l'on sait :
Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.
D'antécédents, il en avait de vraiment vagues
Ou pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,
L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir
D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste
Dans son genre et dans son outrecuidance leste.
Il fit rage, eut des duels célèbres et causa
Des morts de femmes par amour dont on causa.
Comment il vint à bout de la chère comtesse,
Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse
Une odeur de cheval et de femme après lui
A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui ?
Ah, ça, c'est le secret perpétuel que berce
Le sang des dames dans son plus joli commerce,
À moins que ce ne soit celui du DIABLE aussi.
Toujours est-il que quand le tour eut réussi
Ce fut du propre !
Absent souvent trois jours sur quatre,
Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,
Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu,
Il la martyrisait, en manière de jeu,
Par l'étalage de doctrines impossibles.

" Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles,
" Je suis le doux par excellence, mais tenez,
" (Ça m'exaspère, et je le dis à votre nez,
" Quand je vous vois œil blanc et la lèvre pincée,
" Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée
" Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.
" Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois
" Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,
" Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes
" Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand ?
" Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment
" Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage !
" Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image
" Que vous voyez et vers qui vos voeux vont monter ?
" L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter
" Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose
" Parler ainsi consiste-t-il en cette chose
" Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari
" Et se voit de ce chef tout spécial chéri ?
" Ah, si je bois c'est pour me soûler, non pour boire.
" Être soûl vous ne savez pas quelle victoire
" C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c est !
" On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait ;
" C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve
" Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève
" Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici ;
" C'est une espèce d'autre vie en raccourci,
" Un espoir actuel, un regret qui " rapplique " ,
" Que sais-je encore ? Et quant à la rumeur publique,
" Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,
" C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas
" Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase,
" Ô que nenni !

" Voyons, l'amour, c'est une phrase
" Sous un mot, - avouez, un écoute-s'il-pleut,
" Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut,
" Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie
" Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie,
" Ou pour mieux dire, au gré de son tempérament,
" Mais, entre nous, le temps qu'on y perd ! Et comment !
" Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses
" Comme nous deux, avec ces vertus précieuses
" Que nous avons, du coeur, de l'esprit, - de l'argent,
" Dans un siècle que l'on peut dire intelligent
" Aillent !... "

Ainsi de suite, et sa fade ironie
N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie.
Elle écoutait le tout avec les yeux baissés
Des cœurs aimants à qui tous torts sont effacés,
Hélas !
L'après-demain et le demain se passent.
Il rentre et dit : " Altro ! Que voulez-vous que fassent
" Quatre pauvres petits millions contre un sort ?
" Ruinés, ruinés, je vous dis ! C'est la mort
" Dans l'âme que je vous le dis. "
Elle frissonne
Un peu, mais sait que c'est arrivé.
- " Ça, personne,
" Même vous, diletta, ne me croit assez sot
a Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut
" De puce. "
Elle pâlit très fort et frémit presque,
Et dit : " Va, je sais tout. " - " Alors c'est trop grotesque
Et vous jouez là sans atouts avec le feu.
Qui dit non ? " - Mais JE SUIS SPÉCIAL à ce jeu. "
- " Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée ? "
- " C'est différent, arrange ainsi ta destinée,
Moi, je sors. " - " Avec moi ! " - " Je ne puis aujourd'hui. "
Il a disparu sans autre trace de lui
Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire.
Elle tire un petit couteau.
Le temps de luire
Et la lame est entrée à deux lignes du coeur.
Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur :
" À toi, je t'aime ! " et la JUSTICE la recense.

Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence.

Paul Verlaine

con el espíritu de Maldicionario

Commentaires

Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.

Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil
Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil.

L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.

Alors le chevalier Malheur s'est rapproché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.

Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure.

Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer
Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier.

Et voici que, fervent d'une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine.

Or, je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
En s'éloignant me fit un signe de la tête

Et me cria (j'entends encore cette voix) :
" Au moins, prudence ! Car c'est bon pour une fois. "


Paul Verlaine
Crimen amoris

À Villiers de l'Isle Adam

Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d'une musique mahométane
Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.

C'est la fête aux Sept Péchés : ô qu'elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Appétits, pages prompts que l'on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.

Des danses sur des rythmes d'épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux chours de voix d'hommes et de femmes
Se déroulaient, palpitaient comme des flots,

El la bonté qui s'en allait de ces choses
Était puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.

Or le plus beau d'entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisés sur les colliers et les franges,
Il rêve, oil plein de flammes et de pleurs.

En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frères et ses sours,
Pour l'arracher au souci qui le désole,
L'encourageaient d'appels et de bras caresseurs :

Il résistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
À son cher front tout brûlant d'orfèvreries :
Ô l'immortel et terrible désespoir !

Il leur disait : " Ô vous, laissez-moi tranquille ! "
Puis les ayant baisés tous bien tendrement
Il s'évada d'avec eux d'un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.

Le voyez-vous sur la tour la plus céleste
Du haut palais avec une torche au poing ?
Il la brandit comme un héros fait d'un ceste :
D'en bas on croit que c'est une aube qui point.

Qu'est-ce qu'il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d'entendre ?
" Oh ! je serai celui-là qui créera Dieu !

" Nous avons trop souffert, anges et hommes,
" De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
" Humilions, misérables que nous sommes,
" Tous nos élans dans le plus simple des voeux.
" Ô vous tous, ô nous tous, ô les pécheurs tristes,
" Ô les gais Saints ! Pourquoi ce schisme têtu ?
" Que n'avons-nous fait, en habiles artistes,
" De nos travaux la seule et même vertu !

" Assez et trop de ces luttes trop égales !
" Il va falloir qu'enfin se rejoignent les
" Sept Péchés aux Trois Vertus Théologales !
" Assez et trop de ces combats durs et laids !

" Et pour réponse à Jésus qui crut bien faire
" En maintenant l'équilibre de ce duel,
" Par moi l'enfer dont c'est ici le repaire
" Se sacrifie à l'Amour universel ! "

La torche tombe de sa main éployée,
Et l'incendie alors hurla s'élevant,
Querelle énorme d'aigles rouges noyée
Au remous noir de la fumée et du vent.

L'or fond et coule à flots et le marbre éclate ;
C'est un brasier tout splendeur et tout ardeur ;
La soie en courts frissons comme de l'ouate
Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur.

Et les satans mourants chantaient dans les flammes
Ayant compris, comme ils étaient résignés
Et de beaux chours de voix d'hommes et de femmes
Montaient parmi l'ouragan des bruits ignés.

Et lui, les bras croisés d'une sorte fière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant
Il dit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l'allégresse du chant.

Il dit tout bas une espèce de prière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant...
Quand retentit un affreux coup de tonnerre
Et c'est la fin de l'allégresse et du chant.

On n'avait pas agréé le sacrifice :
Quelqu'un de fort et de juste assurément
Sans peine avait su démêler la malice
Et l'artifice en un orgueil qui se ment.

Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce désastre inouï,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne fût qu'un vain rêve évanoui...

Et c'est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles ;
Une campagne évangélique s'étend
Sévère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d'arbre ont l'air d'ailes s'agitant.

De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre ;
Les doux hiboux nagent vaguement dans l'air
Tout embaumé de mystère et de prière ;
Parfois un flot qui saute lance un éclair.

La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour encore mal défini,
Et le brouillard qui s'essore des ravines
Semble un effort vers quelque but réuni.

Et tout cela comme un coeur et comme une âme,
Et comme un verbe, et d'un amour virginal
Adore, s'ouvre en une extase et réclame
Le Dieu clément qui nous gardera du mal.

Paul Verlaine
Anonyme a dit…
Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé
Que s'ouvrait dans mon coeur la dernière blessure,
Celle dont la douleur plus exquise m'assure
D'une mort désirable en un jour consolé...
Sagesse II - IV - V

- Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme,
Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,
Comme un pauvre rué parmi d'horribles mets.

Mon amour est le feu qui dévore à jamais
Toute chair insensée, et l'évapore comme
Un parfum, - et c'est le déluge qui consomme
En son flot tout mauvais germe que je semais,

Afin qu'un jour la Croix où je meurs fût dressée
Et que par un miracle effrayant de bonté
Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.

Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée
De toute éternité, pauvre âme délaissée,
Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis resté !

Paul Verlaine

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